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The Principal Navigations, Voyages, Traffiques, - and Discoveries of The English Nation, Volume 10 - Asia, Part III
by Richard Hakluyt
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Le capitaine (commandant) de la place etoit messire Mathico, chevalier de Aragouse (d'Arragon), et il avoit pour lieutenant un sien frere, qu'on appeloit le seigneur frere.

Sur le Danube, deux journees au-dessous de Belgrade, le Turc possede ce chateau de Coulombach, qu'il a pris au despote. C'est encore une forte place, dit-on, quoique cependant il soit aise de l'attaquer avec de l'artillerie et de lui fermer tout secours; ce-qui est un grand desavantage. Il y entretient cent fustes pour passer en Hongrie quand il lui plait. Le capitaine du lieu est ce Ceynam-Bay dont j'ai parle ci-devant.

Sur le Danube encore, mais a l'opposite de Belgrade, et dans la Hongrie, le despote possede egalement une ville avec chateau. Elle lui a ete donnee par l'empereur, [Footnote: Sigismond, roi de Boheme et de Hongrie. On pretend que Sigismond ne les donna qu'en echange de Belgrade.] avec plusieurs autres, qui lui font un revenu de cinquante mille ducats, et c'etoit a condition qu'il deviendroit son homme [Footnote: Deviendroit son homme. Cette expression de la feodalite du temps indique l'obligation du service militaire et de la fidelite que le vassel devoit a son suzerain.] mais il obeit plus au Turc qu'a l'empereur.

Deux jours apres mon arrivee dans Belgrade j'y vis entrer vingt-cinq hommes armes a la maniere du pays, que le gouverneur comte Mathico y faisoit venir pour demeurer en garnison. On me dit que c'etoient des Allemands pour garder la place, tandis qu'on avoit si pres des Hongrois, et des Serviens. On me repondit que les Serviens, etant sujets et tributaires du Turc, on se garderoit bien de la leur confier; et que quant aux Hongrois, ils le redoutoient tant que s'il paroissoit, ils n'oseroient la defendre contre lui, quelque forte qu'elle fut. Il falloit donc y appeler des etrangers; et cette mesure devenoit d'autant plus necessaire que c'etoit la seule place que l'empereur possedat pour passer sur l'autre rive du Danube, ou pour le repasser en cas de besoin.

Ce discours m'etonna beaucoup; il me fit faire des reflexions sur l'etrange sujettion ou le Turc tient la Macedoine et la Bulgarie, l'empereur de Constantinople et les Grecs, le despote de Rascie et ses sujets. Cette dependance me parut chose lamentable pour la chretiente. Et comme j'ai vecu avec les Turcs, que je connois leur maniere de vivre et de combattre, que j'ai hante des gens notables qui les ont vus de pres dans leurs grandes entreprises, je me suis enhardi a ecrire, selon mes lumieres, quelque chose sur eux, et a montrer, sauf correction de la part de ceux qui sont plus instruits que moi, comment il est possible de reprendre les etats dont ils se sont empares, et de les battre sur un champ de bataille.

Et d'abord, pour commencer par leur personnel, je dirai que ce sont d'assez beaux hommes, portant tous de longues barbes, mais de moyenne taille et de force mediocre. Je sais bien que, dans le langage ordinaire, on dit fort comme un Turc; cependant j'ai vu une infinite de chretiens qui, dans les choses ou il faut de la force, l'emportoient sur eux; et moi-meme, qui ne suis pas des plus robustes, j'en ai trouve, lorsque les circonstances exigeoient quelque travail, de plus foibles que moi encore.

Ils sont gens diligens, se levent matin volontiers, et vivent de peu en compagne; se contentant de pain mal cuit, de chair crue sechee au soleil, de lait soit caille soit non caille, de miel, fromage, raisins, fruits, herbages, et meme d'une poignee de farine avec laquelle ils feront un brouet qui leur suffira pour un jour a six ou huit. Ont-ils un cheval ou un chameau malade sans espoir de guerison, ils lui coupent la gorge et le mangent. J'en ai ete temoin maintes fois. Pour dormir ils ne sont point embarasses, et couchent par terre.

Leur habillement consiste en deux ou trois robes de coton l'une sur l'autre, et qui descendent jusqu'aux pieds. Par-dessus celles-la ils en portent, en guise de manteau, une autre de feutre qu'on nomme capinat. Le capinat, quoique leger, resiste a la pluie, et il y en a de tres-beaux et de tres-fins. Ils ont des bottes qui montent jusqu'aux genoux, et de grandes braies (calecons), qui pour les uns sont de velours cramoisi, pour d'autres de soie, de futaine, d'etoffes communes. En guerre ou en route, pour n'etre point embarrasses de leurs robes, ils les relevent et les enferment dans leurs calecons; ce qui leur permet d'agir librement.

Leurs chevaux sont bons, coutent peu a nourir, courent bien et longtemps; mais ils les tiennent tres-maigres et ne les laissent manger que la nuit, encore ne leur donnent-ils alors que cinq ou six jointees d'orge et le double de paille picade (hachee): le tout mis dans une besace qu'ils leur pendent aux oreilles. Au point du jour, ils les brident, les nettoient, les etrillent; mais ils ne les font boire qu'a midi, puis l'apres-diner, toutes les fois qu'ils trouvent de l'eau, et le soir quand ils logent ou campent; car ils campent toujours de bonne heure, et pres d'une riviere, s'ils le peuvent. Dans cette derniere circonstance ils les laissent brides encore pendant une heure, comme les mules. Enfin vient un moment ou chacun fait manger le sien.

Pendant la nuit ils les couvrent de feutre ou d'autres etoffes, et j'ai vu de ces couvertures qui etoient tres-belles; ils en ont meme pour leurs levriers, [Footnote: Le mot levrier n'avoit pas alors l'acception exclusive qu'il a aujourd'hui; il se prenoit pour le chien de chase ordinaire.] espece dont ils sont tres-curieux, et qui chez eux est belle et forte, quoiqu'elle ait de longues oreilles pendantes et de longues queues feuillees (touffues), que cependant elle porte bien.

Tous leurs chevaux sont Hongres: ils n'en gardent d'entiers que quelques-uns pour servir d'etalons, mais en si petit nombre que je n'en ai pas vu un seul. Du reste ils les sellent et brident a la jennette. [Footnote: Les mors et les selles a la genette avoient ete adoptes en France, et jusqu'au dernier siecle ils furent d'usage dans nos maneges. On disoit monter a la genette quand les jambes etoient si courtes que l'eperon portoit vis-a-vis les flancs du cheval. Le mors a la genette etoit celui qui avoit sa gourmette d'une seule piece et de la forme d'un grand anneau, mis et arrete au haut de la liberte de la langue.] Leurs selles, ordinairement fort riches, sont tres-creuses. Elles n'ont qu'un arcon devant, un autre derriere, avec de courtes etrivieres et de larges etriers.

Quant a leurs habillemens de guerre, j'ai ete deux fois dans le cas de les voir, a l'occasion des Grecs renegats qui renoncoient a leur religion pour embrasser le Mahometisme: alors les Turcs font une grande fete; ils prennent leurs plus belles armes et parcourent la ville en cavalcade aussi nombreuse qu'il leur est possible. Or dans ces circonstances, je les ai vus porter d'assez belles brigandines (cottes d'armes) pareilles aux notres, a l'exception que les ecailles en etoient plus petites. Leur garde-bras (brassarts) etoient de meme. En un mot ils ressemblent a ces peintures ou l'on nous represente les temps de Jules Cesar. La brigandine descend presqu'a mi-cuisse; mais a son extremite est attachee circulairement une etoffe de soie qui vient jusqu'a mi-jambe.

Sur la tete ils portent un harnois blanc qui est rond comme elle, et qui, haut de plus d'un demi-pied, se termine en pointe. [Footnote: Harnois, dans la langue du temps, etoit un terme general qui signifioit a la fois habillement et armure; ici il designe une sorte de bonnet devenu arme defensive.] On le garnit de quatre clinques (lames), l'une devant, l'autre derriere, les deux autres sur les cotes, afin de garantir du coup d'epee la face, le cou et les joues. Elles sont pareilles a celles qu'ont en France nos salades. [Footnote: Salades, sorte de casque leger alors en usage, et qui, n'ayant ni visiere ni gorgerin, avoit besoin de cette bande de fer en saillie pour defendre le visage.]

Outre cette garniture de tete ils en ont assez communement une autre qu'ils mettent par-dessus leurs chapeaux ou leurs toques: c'est une coiffe de fil d'archal. Il y a de ces coiffes qui sont si riches et si belles qu'elles coutent jusqu'a quarante et cinquante ducats, tandis que d'autres n'en coutent qu'un ou deux. Quoique celles-ci soient moins fortes que les autres, elles peuvent resister au coup de taille d'une epee.

J'ai parle de leurs selles: ils y sont assis comme dans un fauteuil, bien enfonces, les genoux fort haut et les etriers courts; position dans laquelle ils ne pourroient pas supporter le moindre coup de lance sans etre jetes bas.

L'arme de ceux qui ont quelque fortune est un arc, un tarquais, une epee et une forte masse a manche court, dont le gros bout est taille a plusieurs carnes. Ce baton a du danger quand on l'assene sur des epaules ou des bras degarnis. Je suis meme convaincu qu'un coup bien appuye sur une tete armee de salade etourdiroit l'homme.

Plusieurs portent de petits pavois (boucliers) en bois, et ils savent tres-bien s'en couvrir a cheval quand ils tirent de l'arc. C'est ce que m'ont assure gens qui les ont long-temps pratiques, et ce que j'ai vu par moi-meme.

Leur obeissance aux ordres de leur seigneur est sans bornes. Pas un seul n'oseroit les transgresser quand il s'agiroit de la vie, et c'est principalement a cette soumission constante qu'il doit les grandes choses qu'il a executees et ces vastes conquetes qui l'ont rendu maitre d'une etendue de pays beaucoup plus considerable que n'est la France.

On m'a certifie que quand les puissances chretiennes ont pris les armes contre eux, ils ont toujours ete avertis a temps. Dans ce cas, le seigneur fait epier leur marche par des hommes qui sont propres a cette fonction, et il va les attendre avec son armee a deux ou trois journees du lieu ou il se propose de les combattre. Croit-il l'occasion favorable, il fond sur eux tout-a-coup, et ils ont pour ces circonstances une sorte de marche qui leur est propre. Le signal est donne par un gros tambour. Alors ceux qui doivent etre en tete partent les premiers et sans bruit; les autres suivent de meme en silence, sans que la file soit jamais interrompue, parce que les chevaux et les hommes sont dresses a cet exercice. Dix mille Turcs, en pareil cas, font moins de tapage que ne feroient cent hommes d'armes chretiens. Dans leurs marches ordinaires, ils ne vont jamais qu'au pas; mais dans celles-ci ils emploient le galop, et comme d'ailleurs ils sont armes legerement, ils font du soir au matin autant de chemin qu'en trois de leurs journees communes; et voila pourquoi ils ne pourroient porter d'armures completes, ainsi que les Francais et les Italiens: aussi ne veulent-ils en chevaux que ceux qui ont un grand pas ou qui galopent long-temps, tandis que nous il nous les faut trottant bien et aises.

C'est par ces marches forcees qu'ils ont reussi, dans leurs differentes guerres, a surprendre les chretiens et a les battre si completement; c'est ainsi qu'ils ont vaincu le duc Jean, a qui Dieu veuille pardonner, [Footnote: Jean, comte de Nevers, surnomme Sans-peur et fils de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Sigismond ayant forme une ligue pour arreter les conquetes de Bajazet, notre roi Charles VI lui envoya un corps de troupes dans lequel il y avoit deux mille gentilshommes, et qui etoit conduit par le comte Jean. L'armee chretienne fut defaite a Nicopolis en 1396, et nos Francais tues ou faits prisonniers. On sait qu'avant la bataille, pour se debarrasser de captifs Turcs qu'ils avoient recus a rancon, ils eurent l'indignite de les egorger, et qu'apres la victoire le sultan n'ayant accorde la vie qu'aux principaux d'entre eux, il fit par represailles massacrer devant eux leurs camarades. Jean, devenu duc de Bourgogne, fit lachement assassiner dans Paris le duc d'Orleans, frere du roi. Il fut tue a son tour par Tannegui du Chatel, ancien officier du duc. On voit par ces faits que la Brocquiere avoit grande raison, en parlant de Jean, de demander que Dieu lui pardonnat.] et l'empereur Sigismond, et tout recemment encore cet empereur devant Coulumbach, ou perit messire Advis, chevalier de Poulaine (Pologne).

Leur maniere de combattre varie selon les circonstances. Voient-ils un lieu et une occasion favorables pour attaquer, ils se divisent en plusieurs pelotons, selon la force de leur troupe, et viennent ainsi assailir par differens cotes. Ce moyen est surtout celui qu'ils emploient en pays de bois et de montagnes, parce qu'ils ont l'art de se reunir sans peine.

D'autres fois ils se mettent en embuscade et envoient a la decouverte quelques gens bien montes. Si le rapport est que l'ennemi n'est point sur ses gardes, ils savent prendre leur parti sur-le-champ et tirer avantage des circonstances. Le trouvent-ils en bonne ordonnance, ils voltigent autour de l'armee a la portee du trait, caracollent ainsi en tirant sans cesse aux hommes et aux chevaux, et le font si long-temps qu'enfin ils la mettent en desordre. Si l'on veut les poursuivre et les chasser, il fuient, et se dispersent chacun de leur cote, quand meme on ne leur opposeroit que le quart de ce qu'ils sont; mais c'est dans leur fuite qu'ils sont redoutables, et c'est presque toujours ainsi qu'ils ont deconfi les chretiens. Tout en fuyant ils ont l'art de tirer de l'arc si adroitement qu'ils ne manquent jamais d'atteindre le cavalier ou le cheval.

D'ailleurs chacun d'eux porte attache a l'arcon de sa selle un tabolcan. Si le chef ou quelqu'un des officiers s'apercoit que l'ennemi qui poursuit est en desordre, il frappe trois coups sur son instrument; chacun de son cote et de loin en loin en fait autant: en un instant tous se rassemblent autour du chef, "comme pourceaux au cry l'un de l'autre," et, selon les circonstances, ils recoivent en bon ordre les assaillans ou fondent sur eux par pelotons, on les attaquant de toutes parts.

Dans les batailles rangees ils emploient quelquefois une autre sorte de stratageme, qui consiste a jeter des feux a travers les chevaux de la cavalerie pour les epouvanter; souvent encore ils mettent en tete de leur ligne un grand nombre de chameaux ou de dromadaires forts et hardis; ils les chassent en avant sur les chevaux, et y jettent le desordre.

Telles sont les manieres de combattre que les Turcs ont jusqu'a present mises en usage vis-a-vis des chretiens. Assurement je ne veux point en dire du mal ni les deprecier; j'avouerai au contraire que, dans le commerce de la vie, je les ai trouves francs et loyaux, et que dans les occasions ou il falloit du courage ils se sont bien montres: mais cependant je n'en suis pas moins convaincu que, pour des troupes bien montees et bien commandees, ce seroit chose peu difficile de les battre; et quant a moi je declare qu'avec moitie moins de monde qu'eux je n'hesiterois pas a les attaquer.

Leurs armees, je le sais, sont ordinairement de cent a deux cent mille hommes; mais la plupart sont a pied, et la plupart manquent, comme je l'ai dit, de tarquais, de coiffe, de masse ou d'epee; fort peu ont une armure complete.

D'ailleurs ils ont parmi eux un tres-grand nombre de chretiens qui servent forcement: Grecs, Bulgares, Macedoniens, Albanois, Esclavons, Valaques, Rasciens et autres sujets du despote de Rascie. Tous ces gens-la detestent le Turc, parce qu'il les tient dans une dure servitude; et s'ils voyoient marcher en forces contre lui les chretiens, et sur-tout les Francais, je ne doute nullement qu'ils ne lui tournassent le dos et ne le grevassent beaucoup.

Les Turcs ne sont donc ni aussi terribles, ni aussi formidables que je l'ai entendu dire. J'avoue pourtant qu'il faudroit contre eux un general bien obei, et qui voulut specialement prendre et suivre les avis de ceux qui connoissent leur maniere de faire la guerre. C'est la faute que fit a Coulumbach, m'a-t-on-dit, l'empereur Sigismond lorsqu'il fut battu par eux. S'il avoit voulu ecouter les conseils qu'on lui donna, il n'eut point ete oblige de lever honteusement le siege, puisqu'il y avoit vingt-cinq a trente mille Hongrois. Ne vit-on pas deux cents arbaletriers Lombards et Genois arreter seuls l'effort des ennemis, les contenir, et favoriser sa retraite pendant qu'il s'embarquoit dans les galeres qu'il avoit sur le Danube; tandis que six mille Valaques, qui, avec le chevalier Polonois dont j'ai parle ci-dessus, s'etoient mis a l'ecart sur une petite hauteur, furent tous tailles en pieces?

Je ne dis rien sur tout ceci que je n'aie vu ou entendu. Ainsi donc, dans le cas ou quelque prince ou general chretien voudroit entreprendre la conquete de la Grece ou meme penetrer plus avant, je crois que je puis lui donner des renseignemens utiles. Au reste je vais parler selon mes facultes; et s'il m'echappoit chose qui deplut a quelqu'un, je prie qu'on m'excuse et qu'on la regarde comme nulle.

Le souverain qui formeroit un pareil projet devroit d'abord se proposer pour but, non la gloire et la renommee, mais Dieu, la religion, et le salut de tant d'ames qui sont dans la voie de perdition. Il faudroit qu'il fut bien assure d'avance du paiement de ses troupes, et qu'il n'eut que des corps bien fames, de bonne volonte, et sur-tout point pillards. Quant aux moyens de solde, ce seroit, je crois, a notre saint-pere le pape qu'il conviendroit de les assurer; mais jusqu'au moment ou l'on entreroit sur les terres des Turcs on devroit se fair une loi de ne rien prendre sans payer. Personne n'aime a se voir derober ce qui lui appartient, et j'ai entendu dire que ceux qui l'ont fait s'en sont souvent mal trouves. Au reste je m'en rapporte sur tous ces details aux princes et a messeigneurs de leur conseil; moi je ne m'arrete qu'a l'espece de troupes qui me paroit la plus propre a l'enterprise, et avec laquelle je desirerois etre, si j'avois a choisir.

Je voudrois donc, 1 deg.. de France, gens d'armes, gens de trait, archers et arbaletriers, en aussi grand nombre qu'il seroit possible, et composes comme je l'ai dit ci dessus; 2 deg.. d'Angleterre, mille hommes d'Armes et dix mille archers; 3 deg.. d'Allemagne, le plus qu'on pourroit de gentilshommes et de leurs crennequiniers a pied et a cheval. [Footnote: Cranquiniers, c'etoit le nom qu'en Autriche et dans une partie de l'Allemagne on donnoit aux archers.] Assemblez en gens de trait, archers et crennequiniers quinze a vingt mille hommes de ces trois nations, bien unis; joignez-y deux a trois cents ribaudequins, [Footnote: Ribaudequins, sortes de troupes legeres qui servoient aux escarmouches et representoient nos tirailleurs d'aujourd'hui.] et je demanderai a Dieu la grace de marcher avec eux et je reponds bien qu'on pourra les mener sans peine de Belgrade a Constantinople.

Il leur suffiroit, ainsi que je l'ai remarque, d'une armure legere, attendu que le trait Turc n'a point de force. De pres, leurs archers tirent juste et vite; mais ils ne tirent point a beaucoup pres aussi loin que les notres. Leurs arcs sont gros, mais courts, et leurs traits courts et minces. Le fer y est enfonce dans le bois, et ne peut ni supporter un grand coup, ni faire plaie que quand il trouve une partie decouverte. D'apres ceci, on voit qu'il suffiroit a nos troupes d'avoir une armure legere, c'est-a-dire un leger harnois de jambes, [Footnote: Harnois de jambes, sorte d'armure defensive en fer qui emboitoit la jambe, et qu'on nommoit jambards ou greves.] une legere brigandine ou blanc-harnois, et une salade avec baviere et visiere un peu large. [Footnote: J'ai deja dit que la salade etoit un casque beaucoup moins lourd que le heaume. Il y en avoit qui laissoient le visage totalement decouvert; d'autres qui, pour le garantir, portoient en avant une lame de fer; d'autres qui, comme le heaume, le couvroient en entier, haut et bas: ce qu'on appeloit visiere et baviere.] Le trait d'un arc Turc pourrait fausser un haubergon; [Footnote: Haubergeon, cotte de mailles plus legere que le haubert. Etant en mailles, elle pouvoit etre faussee plus aisement que la brigandine, qui etoit de fer plein ou en ecailles de fer.] mais il semoussera contre une brigandine ou blanc-harnois.

J'ajouterai qu'en cas de besoin nos archers pourroient se servir des traits des Turcs, et que les leurs ne pourroient se servir des notres, parce que la coche n'est pas assez large, et que les cordes de leurs arcs etant de nerfs, sont beaucoup trop grosses.

Selon moi, ceux de nos gens d'armes qui voudroient etre a cheval devroient avoir une lance legere a fer tranchant, avec une forte epee bien affilee. Peut-etre aussi leur seroit-il avantageux d'avoir une petite hache a main. Ceux d'entre eux qui seroient a pied porteroient guisarme, [Footnote: Guisarme, hache a deux tetes.] ou bon epieu tranchant [Footnote: Epieu, lance beaucoup plus forte que la lance ordinaire.]; mais les uns et les autres auroient les mains armees de gantelets. Quant a ces gantelets, j'avoue que pour moi j'en connois en Allemagne qui sont de cuir bouilli, dont je ferais autant de cas que de ceux qui sont en fer.

Lorsqu'on trouvera une plaine rase et un lieu pour combattre avec avantage on en profitera; mais alors on ne fera qu'un seul corps de bataille. L'avant garde et l'arriere-garde seront employees a former les deux ailes. On entremelera par-ci par-la tout ce qu'on aura de gens d'armes, a moins qu'on ne preferat de les placer en dehors pour escarmoucher; mais on se gardera bien de placer ainsi les hommes d'armes. En avant de l'armee et sur ses ailes seront epars et semes ca et la les ribaudequins; mais il sera defendu a qui que ce soit, sous peine de la vie, de poursuivre les fuyards.

Les Turcs ont la politique d'avoir toujours des armees deux fois plus nombreuses que celles des chretiens. Cette superiorite de nombre augmente leur courage, et elle leur permet en meme temps de former differens corps pour attaquer par divers cotes a la fois. S'ils parviennent a percer, ils se precipitent en foule innombrable par l'ouverture, et alors c'est un grand miracle si tout n'est pas perdu.

Pour empecher ce malheur on placera la plus grande quantite de ribaudequins vers les angles du corps de bataille, et l'on tachera de se tenir serre de maniere a ne point se laisser entamer. Au reste, cette ordonnance me paroit d'autant plus facile a garder qu'ils ne sont point assez bien armes pour former une colonne capable par son poids d'une forte impulsion. Leurs lances ne valent rien. Ce qu'ils ont de mieux ce sont leurs archers, et ces archers ne tirent ni aussi loin ni aussi fort que les notres.

Ils ont aussi une cavalerie beaucoup plus nombreuse; et leurs chevaux, quoique inferieurs en force aux notres, quoique moins capables de porter de lourds fardeaux, courent mieux, escarmouchent plus long-temps et ont plus d'haleine. C'est une raison de plus pour se tenir toujours bien serre, toujours bien en ordre.

Si l'on suit constamment cette methode ils seront forces, ou de combattre avec desavantage, et par consequent de tout risquer, ou de faire retraite devant l'armee. Dans le cas ou ils prendroient ce dernier parti, on mettra de la cavalerie a leurs trousses; mais il faudra qu'elle ne marche jamais qu'en bonne ordonnance, et toujours prete a combattre et a les bien recevoir s'ils reviennent sur leurs pas. Avec cette conduite il n'est point douteux qu'on ne les batte toujours. En suivant le contraire, ce seront eux qui nous battront, comme il est toujours arrive.

On me dira peut-etre que rester ainsi en presence et sur la defensive vis-a-vis d'eux, seroit une honte pour nous. On me dira que, vivant de peu et de tout ce qu'ils trouvent, ils nous affameroient bientot si nous ne sortoins de notre fort pour aller les combattre.

Je repondrai que leur coutume n'est point de rester en place; qu'aujourd'hui dans un endroit, demain eloignes d'une journee et demie, ils reparoissent tout-a-coup aussi vite qu'ils ont disparu, et que, si l'on n'est point continuellement sur ses gardes, on court de gros risques. L'important est donc, du moment ou on les a vus, d'etre toujours en defiance, toujours pret a monter a cheval et a se battre.

Si l'on a quelque mauvais pas a passer, on ne manquera pas d'y envoyer des gens d'armes et des gens de trait autant que le lieu permettra d'en recevoir pour combattre, et l'on aura grand soin qu'ils soient constamment en bon ordre de bataille.

Jamais n'envoyez au fourrage, ce seroit autant d'hommes perdus; d'ailleurs vous ne trouveriez plus rien aux champs. En temps de guerre les Turcs font tout transporter dans les villes.

Avec toutes ces precautions, la conquete de la Grece [Footnote: On a deja vu plus haut que par le mot Grece l'auteur entend les etats que les Turcs possedoient en Europe.] ne sera pas une entreprise extremement difficile, pourvu, je le repete, que l'armee fasse toujours corps, qu'elle ne se divise jamais, et ne veuille point envoyer de pelotons a la poursuite de l'ennemi. Si l'on me demande comment on aura des vivres, je dirai que la Grece et la Rassie ont des rivieres navigables, et que la Bulgarie, la Macedoine et les provinces Grecques sont fertiles.

En avancant ainsi toujours en masse, on forcera les Turcs a reculer, et il faudra qu'ils choisissent entre deux extremites, comme je l'ai deja dit, ou de repasser en Asie et d'abandonner leurs biens, leurs femmes et leurs enfans, puisque le pays n'est point de defense, ainsi qu'on l'a pu voir par la description que j'en ai donnee, ou de risquer une bataille, comme ils l'ont fait toutes les fois qu'ils ont passe le Danube.

Je conclus qu'avec de bonnes troupes composees des trois nations que j'ai nommees, Francais, Anglais et Allemands, on sera sur du succes, et que si elles sont en nombre suffisant, bien unies et bien commandees, elles iront par terre jusqu'a Jerusalem. Mais je reprends mon recit.

Je traversai le Danube a Belgrade. Il etoit en ce moment extraordinairement gonfle, et pouvoit bien avoir douze milles de large. Jamais, de memoire d'homme, on ne lui avoit vu une crue pareille. Ne pouvant me rendre a Boude (Bude) par le droit chemin, j'allai a une ville champetre (un village) nommee Pensey. De Pensey j'arrivai par la plaine la plus unie que je connoisse, et apres avoir traverse en bac une riviere a Beurquerel, ville qui appartient au despote de Rassie, et ou je passai deux autres rivieres sur un pont. De Beurquerel je vins a Verchet, qui est egalement au despote, et la je passai la Tiste (la Teisse), riviere large et profonde. Enfin je me rendis a Segading (Segedin) sur la Tiste.

Dans toute la longueur de cette route, a l'exception de deux petits bois qui etoient enclos d'un ruisseau, je n'ai pas vu un seul arbre. Les habitans n'y brulent que de la paille ou des roseaux qu'ils ramassent le long des rivieres ou dans leurs nombreux marecages. Ils mangent, au lieu de pain, des gateaux tendres; mais ils n'en ont pas beaucoup a manger.

Segedin est une grande ville champetre, composee d'une seule rue qui m'a paru avoir une lieue de longueur environ. Elle est dans un terroir fertile, abondant en toutes sortes de denrees. On y prend beaucoup de grues et de bistardes (outardes), et j'en vis un grand marche tout rempli; mais on les y apprete fort malproprement, et on les mange de meme. La Teisse fournit aussi quantite de poissons, et nulle part je n'ai vu riviere en donner d'aussi gros.

On y trouxe egalement une grande quantite de chevaux sauvages a vendre; mais on sait les domter et les apprivoiser, et c'est une chose curieuse a voir. On m'a meme assure que qui en voudroit trois ou quatre mille, les trouveroit dans la ville. Ils sont a si bon marche que pour dix florins de Hongrie on auroit un tres-beau roussin (cheval de voyage).

L'empereur, m'a-t-on dit, avoit donne Segedin a un eveque. J'y vis ce prelat, et me sembla homme de grosse conscience. Les cordeliers ont dans la ville une assez belle eglise. J'y entendis le service. Ils le font un peu a la Hongroise.

De Segedin je vins a Paele (Pest), assez bonne ville champetre sur le Danube, vis-a-vis Bude. D'une ville a l'autre le pays continue d'etre, bon et uni. On y trouve une quantite immense de haras de jumens, qui vivent abandonnees a elles-memes en pleine campagne, comme les animaux sauvages; et telle est la raison qui fait qu'on en voit tant au marche de Segedin.

A Pest je traversai le Danube et entrai dans Bude sept jours apres mon depart de Belgrade.

Bude, la principale ville de Hongrie, est sur une hauteur beaucoup plus longue que large. Au levant elle a le Danube, au couchant un vallon, et au midi un palais qui commande la porte de la ville, palais qu'a commence l'empereur, et qui, quand on l'aura fini, sera grand et fort. De ce cote, mais hors des murs, sont de tres beaux bains chauds. Il y en a encore au levant, le long du Danube, mais qui ne valent pas les autres.

La ville est gouvernee par des Allemands, tant pour les objets de justice et de commerce que pour ce qui regarde les differentes professions. On y voit beaucoup de Juifs qui parlent bien Francais, et dont plusieurs sont de ceux qu'on a chasses de France. J'y trouvai aussi un marchand d'Arras appele Clays Davion; il faisoit partie d'un certain nombre de gens de metier que l'empereur Sigismond avoit amenes de France. Clays travailloit en haute-lice. [Footnote: Sigismond, dans son voyage en France, avoit ete a portee d'y voir nos manufactures, et specialement celles de Flandre, renommees des-lors par leurs tapisseries. Il avoit voulu en etablir de pareilles dans sa capitale de Hongrie, et avoit engage des ouvriers de differentes professions a l'y suivre.]

Les environs de Bude sont agreables, et le terroir est fertile en toutes sortes de denrees, et specialement en vins blancs qui ont un peu d'ardeur: ce qu'on attribue aux bains chauds du canton et au soufre sur lequel les eaux coulent. A une lieue de la ville se trouve le corps de saint Paul, hermite, qui s'est conserve tout entier.

Je retournai a Pest, ou je trouvai egalement six a huit familles Francaises que l'empereur y avoit envoyees pour construire sur le Danube, et vis-a-vis de son palais une grande tour. Son dessein etoit d'y mettre une chaine avec laquelle il put fermer la riviere. On seroit tente de croire qu'il a voulu en cela imiter la tour de Bourgogne qui est devant le chateau de l'Ecluse; mais ici je ne crois pas que le projet soit executable: la riviere est trop large. J'eus la curiosite d'aller visiter la tour. Elle avoit deja une hauteur d'environ trois lances, et l'on voyoit a l'entour une grande quantite de pierres taillees; mais tout etoit reste la, parce que les premiers macons qui avoient commence l'ouvrage etoient morts, disoit-on, et que ceux qui avoient survecu n'en savoient pas assez pour le continuer.

Pest a beaucoup de marchands de chevaux, et qui leur en demanderoit deux mille bons les y trouveroit. Ils les vendent par ecurie composee de dix chevaux, et chaque ecurie est de deux cents florins. J'en ai vu plusieurs dont deux ou trois chevaux seuls valoient ce prix. Ils viennent la plupart des montagnes de Transylvanie, qui bornent la Hongrie au levant. J'en achetai un qui etoit grand coureur: ils le sont presque tous. Le pays leur est bon par la quantite d'herbages qu'il produit; mais ils ont le defaut d'etre un peu quinteux, et specialement mal aises a ferrer. J'en ai meme vu qu'on etoit alors oblige d'abattre.

Les montagnes dont je viens de parler ont des mines d'or et de sel qui tous les ans rapportent au roi chacune cent mille florins de Hongrie. Il avoit abandonne celle d'or au seigneur de Prusse et au comte Mathico, a condition que le premier garderoit la frontiere contre le Turc, et le second Belgrade. La reine s'etoit reserve le revenu de celle du sel.

Ce sel est beau. Il se tire d'une roche et se taille en forme de pierre, par morceaux d'un pied de long environ, carres, mais un peu convexes en dessus. Qui les verroit dans un chariot les prendroit pour des pierres. On le broie dans un mortier, et il en sort passablement blanc, mais plus fin et meilleur que tous ceux que j'ai goutes ailleurs.

En traversant la Hongrie j'ai souvent rencontre des chariots qui portoient six, sept ou huit personnes, et ou il n'y avoit qu'un cheval d'attele; car leur coutume, quand ils veulent faire de grandes journees, est de n'en mettre qu'un. Tous ont les roues de derriere beaucoup plus hautes que celles de devant. Il en est de couverts a la maniere du pays, qui sont tres-beaux et si legers qu'y compris les roues un homme, ce me semble, les porteroit sons peine suspendus a son cou. Comme le pays est plat et tres-uni, rien n'empeche le cheval de trotter toujours. C'est a raison de cette egalite de terrain que, quand on y laboure, on fait des sillons d'une telle longueur que c'est une merveille a voir.

Jusqu'a Pest je n'avois point eu de domestique; la je m'en donnai un, et pris a mon service un de ces compagnons maccons [sic—KTH] Francais qui s'y trouvoient. Il etoit de Brai-sur-Somme.

De retour a Bude j'allai, avec l'ambassadeur de Milan, saluer le grand comte de Hongrie, titre qui repond a celui de lieutenant de l'empereur. Le grand comte m'accueillit d'abord avec beaucoup de distinction, parce qu'a mon habit il me prit pour Turc; mais quand il sut que j'etois chretien il se refroidit un peu. On me dit que c'etoit un homme peu sur dans ses paroles, et aux promesses duquel il ne falloit pas trop se fier. C'est un peu la en general ce qu'on reproche aux Hongrois; et, quant a moi, j'avoue que, d'apres l'idee que m'ont donnee d'eux ceux que j'ai hantes, je me fierois moins a un Hongrois qu'a un Turc.

Le grand comte est un homme age. C'est lui, m'a-t-on dit, qui autrefois arreta Sigismond, roi de Behaigne (Boheme) et de Hongrie, et depuis empereur; c'est lui qui le mit en prison, et qui depuis l'en tira par accommodement.

Son fils venoit d'epouser une belle dame Hongroise. Je le vis dans une joute qui, a la maniere du pays, eut lieu sur de petits chevaux et avec des selles basses. Les jouteurs etoient galamment habilles, et ils portoient des lances fortes et courtes. Ce spectacle est tres-agreable. Quand les deux champions se touchent il faut que tous deux, ou au moins l'un des deux necessairement, tombent a terre. C'est la que l'on connoit surement ceux qui savent se bien tenir en selle. [Footnote: En France, pour les tournois et les joutes, ainsi que pour les batailles, les chevaliers montoient de ces grands et fort chevaux qu'on appeloit palefrois. Leurs selles avoient par-devant et par-derriere de hauts arcons qui, par les points d'appui qu'ils leur fournissoient, leur donnoient bien plus de moyens de resister au coup de lance que les petits chevaux et les selles basses des Hongrois; et voila pourquoi notre auteur dit que c'est dans les joutes Hongroises qu'on peut reconnoitre le cavalier qui sait bien se tenir en selle.]

Quand ils joutent a l'estrivee pour des verges d'or, tous les chevaux sont de meme hauteur; toutes les selles sont pareilles et tirees au sort, et l'on joute par couples toujours paires, un contre un. Si l'un des deux adversaires tombe, le vainqueur est oblige de se retirer, et il ne joute plus.

Jusqu'a Bude j'avois toujours accompagne l'ambassadeur de Milan; mais, avant de quitter la ville, il me prevint qu'en route il se separeroit de moi pour se rendre aupres du duc. D'apres cette annonce j'allai trouver mon Artesien Clays Davion, qui me donna, pour Vienne en Autriche, une lettre de recommendation adressee a un marchand de sa connoissance. Comme je m'etois ouvert a lui, et que je n'avois cru devoir lui cacher ni mon etat et mon nom, ni le pays d'ou je venois, et l'honneur que j'avois d'appartenir a monseigneur le duc (duc de Bourgogne), il mit tout cela dans la lettre a son ami, et je m'en trouvai bien.

De Bude je vins a Thiate, ville champetre ou le roi se tient volontiers, me dit-on; puis, a Janiz, en Allemand Jane, ville sur le Danube. Je passai ensuite devant une autre qui est formee par une ile du fleuve, et qui avoit ete donnee par l'empereur a l'un des gens de monseigneur de Bourgogne, que je crois etre messire Renier Pot. Je passai par celle de Brut, situee sur une riviere qui separe le royaume de Hongrie d'avec le duche d'Autriche. La riviere coule a travers un marais ou l'on a construit une chaussee longue et etroite. Ce lieu est un passage d'une grande importance; je suis meme persuade qu'avec peu de monde on pourroit le defendre et le fermer du cote de l'Autriche.

Deux lieues par-dela Brut l'ambassadeur de Milan se separa de moi: il se rendit vers le duc son maitre, et moi a Vienne en Autriche, ou j'arrivai apres cinq jours de marche.

Entre dans la ville, je ne trouvai d'abord personne qui voulut me loger, parce qu'on me prenoit pour un Turc. Enfin quelqu'un, par aventure, m'enseigna une hotellerie ou l'on consentit a me recevoir. Heureusement pour moi le domestique que j'avois pris a Pest savoit le Hongrois et le haut Allemand, et il demanda qu'on fit venir le marchand pour qui j'avois une lettre. On alla le chercher. Il vint, et non seulement il m'offrit tous ces services, mais il alla instruire monseigneur le duc Aubert, [Footnote: Albert II, duc d'Autriche, depuis empereur, a la mort de Sigismond.] cousin-germain de mondit seigneur qui aussitot depecha vers moi un poursuivant, [Footnote: Poursuivant d'armes, sorte de heraut en usage dans les cours des princes.] et peu apres messire Albrech de Potardof.

II n'y avoit pas encore deux heures que j'etois arrive quand je vis messire Albrech descendre de cheval a la porte de mon logis, et me demander. Je me crus perdu. Peu avant mon depart pour les saints lieux, moi et quelques autres nous l'avions arrete entre Flandres et Brabant, parce que nous l'avions cru sujet de Phederich d'Autriche, [Sidenote: Frederic, duc d'Autriche, empereur apres Albert II.] qui avoit defie mondit seigneur; et je ne doutai pas qu'il ne vint m'arreter a mon tour, et peut-etre faire pis encore.

Il me dit que mondit seigneur d'Autriche, instruit que j'etois serviteur de mondit seigneur le duc, l'envoyoit vers moi pour m'offrir tout ce qui dependoit de lui; qu'il m'invitoit a le demander aussi hardiment que je le ferois envers mondit seigneur, et qu'il vouloit traiter ses serviteurs comme il feroit les siens meme. Messire Albrech parla ensuite en son nom: il me presenta de l'argent, m'offrit des chevaux et autres objets; en un mot il me rendit le bien pour le mal, quoiqu'apres tout cependant je n'eusse fait envers lui que ce que l'honneur me permettoit et m'ordonnoit meme de faire.

Deux jours apres, mondit seigneur d'Autriche m'envoya dire qu'il vouloit me parler; et ce fut encore messire Albrech qui vint me prendre pour lui faire la reverence. Je me presentai a lui au moment ou il sortoit de la messe, accompagne de huit ou dix vieux chevaliers notables. A peine l'eus-je salue qu'il me prit la main sans vouloir permetter que je lui parlasse a genoux. Il me fit beaucoup de questions, et particulierement sur mondit seigneur; ce qui me donna lieu de presumer qu'il l'aimoit tendrement.

C'etoit un homme d'assez grande taille et brun; mais doux et affable, vaillant et liberal, et qui passoit pour avoir toutes sortes de bonnes qualites. Parmi les personnes qui l'accompagnoient etoient quelques seigneurs de Boheme que les Houls en avoient chasses parce qu'ils ne vouloient pas etre de leur religion. [Footnote: Houls, Hussites, disciples de Jean Hus (qu'on prononcoit Hous), sectaires fanatiques qui dans ce siecle inonderent la Boheme de sang, et se rendirent redoutables par leurs armes.]

Il se presenta egalement a lui un grand baron de ce pays, appele Paanepot, qui, avec quelques autres personnes, venoit, au nom des Hussites, traiter avec lui et demander la paix. Ceux-ci se proposoient d'aller au secours du roi de Pologne contre les seigneurs de Prusse, et ils lui faisoient de grandes offres, m'a-t-on dit, s'il vouloit les seconder; mais il repondit, m'a-t-on encore ajoute, que s'ils ne se soumettoient a la loi de Jesus-Christ, jamais, tant qu'il seroit en vie, il ne feroit avec eux ni paix ni treve.

En effet, au temps ou il leur parloit les avoit deja battus deux fois. Il avoit repris sur eux toute la Morane (Moravie), et, par sa conduite et sa vaillance, s'etoit agrandi a leurs depens.

Au sortir de son audience je fus conduite a celle de la duchesse, grande et belle femme, fille de l'empereur, et par lui heritiere du royaume de Hongrie et de Boheme, et des autres seigneuries qui en dependent. Elle venoit tout recemment d'accoucher d'une fille; ce qui avoit occasionne des fetes et des joutes d'autant plus courues, que jusque-la elle n'avoit point eu d'enfans.

Le lendemain mondit seigneur d'Autriche m'envoya inviter a diner par messire Albrech, et il me fit manger a sa table avec un seigneur Hongrois et un autre Autrichien. Tous ses gens sont a gages, et personne ne mange avec lui que quand on est en prevenu par son maitre d'hotel.

La table etoit carree. La coutume est qu'on n'y apporte qu'un plat a la fois, et que celui qui s'en trouve le plus voisin en goute le premier. Cet usage tient lieu d'essai. [Footnote: Chez les souverains on faisoit l'essai des viandes a mesure qu'on les leur servoit, et il y avoit un officier charge de cette fonction qui, dans l'origine, avoit ete une precaution prise contre le poison.] On servit chair et poisson, et sur-tout beaucoup de differentes viandes fort epicees, mais toujours plat a plat.

Apres le diner on me mena voir les danses chez madame la duchesse. Elle me donna un chapeau de fil d'or et de soie, un anneau et un diamant pour mettre sur ma tete, selon la coutume du pays. Il y avoit la beaucoup de noblesse en hommes et en femmes; j'y vis des gens tres-aimables, et les plus beaux cheveux qu'on puisse porter.

Quand j'eus ete la quelque temps, un gentilhomme nomme Payser, qui, bien qu'il ne fut qu'ecuyer, [Footnote: Qui n'etoit pas encore chevalier.] etoit chambellan et garde des joyaux de mondit seigneur d'Autriche, vint de sa part me prendre pour me les montrer. Il me fit voir la couronne de Boheme, qui a d'assez belles pierreries, et entr'autres un rubis, le plus considerable que j'aie vu. Il m'a paru plus gros qu'une grosse datte; mais il n'est point net, et offre quelques cavites dans le fond desquelles on apercoit des taches noires.

De la ledit garde me mena voir les waguebonnes, [Footnote: Waguebonne, sorte de chariot ou de tour ambulante pour les combats.] que mondit seigneur avoit fait construire pour combattre les Bohemiens. Je n'en vis aucun qui put contenir plus de vingt hommes; mais on me dit qu'il y en avoit un qui en porteroit trois cents, et auquel il ne falloit pour le trainer que dix-huit chevaux.

Je trouvai a la cour monseigneur de Valse, gentil chevalier, et le plus grand seigneur de l'Autriche apres le duc; j'y vis messire Jacques Trousset, joli chevalier de Zoave (Souabe): mais il y en avoit un autre, nomme le Chant, echanson ne de l'Empire, qui, ayant perdu a la bataille de Bar un sien frere et plusieurs de ses amis, et sachant que j'etois a monseigneur le duc, me fit epier pour savoir le jour de mon depart et me saisir en Baviere lorsque j'y passerois. Heureusement pour moi monseigneur d'Autriche fut instruit de son projet. Il le congedia, et me fit rester a Vienne plus que je ne comptois, pour attendre le depart de monseigneur de Valse et de messire Jacques, avec lesquels je partis.

Pendant mon sejour j'y vis trois de ces joutes dont j'ai parle, a petits chevaux et a selles basses. L'une eut lieu a la cour, et les deux autres dans les rues; mais a celles-ci, plusieurs de ceux qui furent renverses tomberent si lourdement qu'ils se blesserent avec danger.

Mondit seigneur d'Autriche me fit offrir en secret de l'argent. Je recus les meme offres de messire Albert et de messire Robert Daurestof, grand seigneur du pays, lequel, l'annee d'auparavant, etoit alle en Flandre deguise, et y avoit vu mondit seigneur le duc, dont il disoit beaucoup de bien. Enfin j'en recus de tresvives d'un poursuivant Breton-bretonnant (Bas-Breton) nomme Toutseul, qui, apres avoir ete au service de l'amiral d'Espagne, etoit a celui de mondit seigneur d'Autriche. Ce Breton venoit tous les jours me chercher pour aller a la messe, et il m'accompagnoit par-tout ou je voulois aller. Persuade que j'avois du depenser en route tout ce que j'avois d'argent, il vint, peu avant mon depart, m'en presenter cinquante marcs qu'il avoit en emaux. Il insista beaucoup pour que je les vendisse a mon profit; et comme je refusois egalement de recevoir et d'emprunter, il me protesta que jamais personne n'en sauroit rien.

Vienne est une ville assez grande, bien fermee de bons fosses et de hauts murs, et ou l'on trouve de riches marchands et des ouvriers de toute profession. Au nord elle a le Danube qui baigne ses murs. Le pays aux environs est agreable et bon, et c'est un lieu de plaisirs et d'amusemens. Les habitans y sont mieux habilles qu'en Hongrie, quoiqu'ils portent tous de gros pourpoints bien epais et bien larges.

En guerre, ils mettent par-dessus le pourpoint un bon haubergeon, un glacon, [Footnote: Glacon ou glachon, sorte d'armure defensive. Les Suisses estoient assez communement habillez de jacques, de pans, de haubergerie, de glachons et de chapeaux de fer a la facon d'Allemagne. (Mat. de Coucy, p. 536.)

En Francais on appeloit glacon une sorte de toile fine qui sans doute etoit glacee. Je soupconne que le glacon Allemand etoit une espece de cotte d'armes faite de plusieurs doubles de toile piquee, comme nos gambisons. Peut-etre aussi n'etoit-ce qu'une cuirasse.] un grand chapeau de fer et d'autres harnois a la mode du pays.

Ils ont beaucoup de crennequiniers. C'est ainsi qu'en Autriche et en Boheme on nomme ceux qu'en Hongrie on appelle archers. Leurs arcs sont semblables a ceux des Turcs, quoiqu'ils ne soient ni si bons ni si forts; mais ils ne les manient point aussi bien qu'eux. Les Hongrois tirent avec trois doigts, et les Turcs avec le pouce et l'anneau.

Quand j'allai prendre conge de mondit seigneur d'Autriche et de madame, il me recommanda lui-meme a mes deux compagnons de voyage, messire Jacques Trousset et mondit seigneur de Walsce, qui alloit se rendre sur la frontiere de Boheme ou il commandoit. Il me fit demander de nouveau si j'avois besoin d'argent. Je lui repondis, comme je l'avois deja fait a ceux qui m'en avoient offert, qu'a mon depart mondit seigneur le duc m'en avoit si bien pourvu qu'il m'en restoit encore pour revenir aupres de lui; mais je lui demandai un saufconduit, et il me l'accorda.

Le Danube, depuis Vienne jusqu'a trois journees pardela, a son cours dirige vers le levant; depuis Bude et meme au-dessus, jusqu'a la pointe de Belgrade, il coule au midi. La, entre la Hongrie et la Bulgarie, il reprend sa direction au levant, et va, dit-on, se jeter dans la mer Noire a Mont-Castre.

Je partis de Vienne dans la compagnie de mondit seigneur de Valse et de messire Jacques Trousset. Le premier se rendit a Lints, aupres de son epouse; la second dans sa terre.

Apres deux journees de marche nous arrivames a Saint-Polquin (Saint Pelten), ou se font les meilleurs couteaux du pays. De la nous vinmes a Melich (Maeleh) sur le Danube, ville ou l'on fabrique les meilleures arbaletes, et qui a un tres-beau monastere de chartreux; puis a Valse, qui appartient audit seigneur, et dont le chateau, construit sur une roche elevee, domine le Danube. Lui-meme me montra les ornemens d'autel qu'a le lieu. Jamais je n'en ai vu d'aussi riches en broderie et en perles. J'y vis aussi des bateaux qui remontoient le Danube, tires par des chevaux.

Le lendemain de notre arrivee, un gentilhomme de Baviere vint saluer mondit seigneur de Valse. Messire Jacques Trousset, averti de sa venue, annonca qu'il alloit le faire pendre a une aubepine qui etoit dans le jardin. Mondit seigneur accourut aussitot, et le pria de ne point lui faire chez lui un pareil affront. S'il vient jusqu'a moi, repondit messire, il ne peut l'echapper, et sera pendu. Ledit seigneur courut donc au devant du gentilhomme; il lui fit un signe, et celui-ci se retira. La raison de cette colere est que messire Jacques, ainsi que la plupart des gens qu'il avoit avec lui, etoit de la secrete compagnie, et que le gentilhomme, qui en etoit aussi, avoit meuse. [Footnote: Probablement il s'agit ici de franc-maconnerie, et le Bavarois que Trousset vouloit faire pendre etoit un faux frere qui avoit revele les mysteres de la compagnie secrete.]

De Valse nous allames a Oens (Ens), sur la riviere de ce nom; a Evresperch, qui est sur le meme riviere, et du domaine de l'eveque de Passot (Passau); puis a Lins (Lintz), tres-bonne ville, qui a un chateau sur le Danube, et qui n'est pas eloignee de la frontiere de Boheme. Elle appartient a monseigneur d'Autriche, et a pour gouverneur ledit seigneur de Valse.

J'y vis madame de Valse, tres-belle femme, du pays de Boheme, laquelle me fit beaucoup d'accueil. Elle me donna un roussin d'un excellent trot, un diamant pour mettre sur mes cheveux, a la mode d'Autriche, et un chapeau de perles orne d'un anneau et d'un rubis. [Footnote: Ces chapeaux, qu'il ne faut pas confondre avec les notres, n'etoient que des cercles, des couronnes en cerceau.]

Mondit seigneur de Valse restant a Lintz avec son epouse, je partis dans la compagnie de messire Jacques Trousset, et vins a Erfort, qui appartient au comte de Chambourg. La finit l'Autriche, et depuis Vienne jusque-la nous avions mis six journees. D'Erfort nous allames a Riet, ville de Baviere, et qui est au duc Henri; a Prenne, sur la riviere de Sceine; a Bourchaze, ville avec chateau sur la meme riviere, ou nous trouvames le duc; a Mouldrouf, ou nous passames le Taing. Enfin, apres avoir traverse le pays du duc Louis de Baviere, sans etre entres dans aucune de ses ville, nous arrivames a Muneque (Munich), la plus jolie petite ville que j'aie jamais vue, et qui appartient au duc Guillaume de Baviere.

A Lanchperch je quittai la Baviere pour entrer en Souabe, et passai par Meindelahan (Mindelheim), qui est au duc; par Mamines (Memingen), ville d'Empire, et de la a Walpourch, l'un des chateaux de messire Jacques. Il ne s'y rendit que trois jours apres moi, parce qu'il vouloit aller visiter dans le voisinage quelques-uns de ses amis; mais il donna ordre a ses gens de me traiter comme ils le traiteroient lui-meme.

Quand il fut revenu nous partimes pour Ravespourch (Rawensburg), ville d'Empire; de la a Martorf, a Mersporch (Mersbourg), ville de l'eveque de Constance, sur le lac de ce nom. Le lac en cet endroit peut bien avoir en largeur trois milles d'Italie. Je le traversai et vins a Constance, ou je passai le Rhin, qui commence a prendre la son nom en sortant du lac.

C'est dans cette ville que se separa de moi messire Jacques Trousset. Ce chevalier, l'un des plus aimable et des plus vaillans de l'Allemagne, m'avoit fait l'honneur et le plaisir de m'accompagner jusque-la pour egard pour mondit seigneur le duc; il m'eut meme escorte plus loin, sans un fait d'armes auquel il s'etoit engage: mais il me donna pour le suppleer un poursuivant, qu'il chargea de me conduire aussi loin que je l'exigerois.

Ce fait d'armes etoit une enterprise formee avec le seigneur de Valse. Tous deux s'aiment comme freres, et il devoient jouter a fer de lance, avec targe et chapeau de fer, selon l'usage du pays, treize contre treize, tous amis et parens. Il est parfaitement muni d'armes pour joutes et batailles. Lui-meme me les avoit montrees dans son chateau de Walporch. Je pris conge de lui, et le quittai avec bien du regret.

De Constance je vins a Etran (Stein), ou je passai le Rhin; a Chaufouze (Schaffouse), ville de l'empereur; a Vualscot (Waldshutt); a Laufemberg (Lauffembourg); a Rinbel (Rhinfeld), toutes trois au duc Frederic d'Autriche, et a Bale, autre ville de l'Empereur ou il avoir envoye comme son lieutenant le duc Guillaume de Baviere, parce que le saint concile y etoit assemble.

Le duc voulut me voir, ainsi que madame la duchesse son epouse. J'assistai a une session du concile ou furent presens monseigneur le cardinal de Saint-Ange, legat de notre saint pere la pape Eugene; sept autres cardinaux, plusieurs patriarches, archeveques et eveques. J'y vis des gens de mondit seigneur le duc, messire Guillebert de Lannoy, seigneur de Villerval, son ambassadeur; maitre Jean Germain, et l'eveque de Chalons. J'eus un entretien avec ledit legat, qui me fit beaucoup de questions sur les pays que j'avois vus, et particulierement sur la Grece; il me parut avoir fort a coeur la conquete de ce pays, et me recommanda de repeter a mondit seigneur, touchant cette conquete, certaines choses que je lui avois racontees.

A Bale je quittai mon poursuivant, qui retourna en Autriche; et moi, apres avoir traverse la comte de Ferette, qui est au duc Frederic d'Autriche, et passe par Montbeliart, qui est a la comtesse de ce nom, j'entrai dans la comte de Bourgogne (la Franche-comte), qui appartient a monseigneur le duc, et vins a Besancon.

Je le croyois en Flandre, et en consequence, voulant me rendre pres de lui par les marches (frontieres) de Bar et de Lorraine, je pris la route de Vesou; mais a Villeneuve j'appris qu'il etoit a l'entree de Bourgogne, et qu'il avoit fait assieger Mussi-l'Eveque. Je me rendis donc par Aussonne a Dijon, ou je trouvai monseigneur le chancelier de Bourgogne, avec qui j'allai me presenter devant lui. Ses gens etoient au siege, et lui dans l'abbaye de Poitiers.

Je parus en sa presence avec les memes habillemens que j'avois au sortir de Damas, et j'y fis conduire le cheval que j'avois achete dans cette ville, et qui venoit de m'amener en France. Mondit seigneur me recut avec beaucoup de bonte. Je lui presentai mon cheval, mes habits, avec le koran et la vie de Mahomet en Latin, que m'avoit donnes a Damas, le chapelain du consul de Venise. Il les fit livrer a maitre Jean Germain pour les examiner; mais onc depuis je n'en ai entendu parler. Ce maitre Jean etoit docteur en theologie: il a ete eveque de Chalons-sur-Saone et chevalier de la toison. [Footnote: Jean Germain, ne a Cluni, et par consequent sujet du duc de Bourgogne, avoit plu, etant enfant, a la duchesse, qui l'envoya etudier dans l'Universite de Paris, ou il se distingua. Le duc, dont il sut gagner la faveur par la suite, le fit, en 1431, chancelier de son ordre de la toison d'or (et non chevalier, comme le dit la Brocquiere). L'annee suivante il le nomme a l'eveche de Nevers; l'envoya, l'an 1432, ambassadeur a Rome, puis au concile de Bale, comme l'un de ses representans. En 1436 il le transfera de l'eveche de Nevers a celui de Chalons-sur-Saone.

Ce que la Brocquiere dit de cet eveque annonce de l'humeur, et l'on concoit que n'entendant point parler des deux manuscrits interessans qu'il avoit apportes d'Asie, il devoit en avoir. Cependant Germain s'en occupa; mais ce ne fut que pour travailler a les refuter. A sa mort, arrivee en 1461, il laissa en manuscrit deux ouvrages dont on trouve des copies dans quelques bibliotheques, l'un intitule, De conceptione beatae Mariae virginis, adversus mahometanos et infideles, libri duo; l'autre, Adversus Alcoranum, libri quinque.]

Je me suis peu etendu sur la description du pays depuis Vienne jusqu'ici, parce qu'il est connu; quant aux autres que j'ai parcourus dans mon voyage, si j'en publie la relation j'avertis ceux qui la liront que je l'ai entreprise, non par ostentation et vanite, mais pour instruire et guider les personnes qu'un meme desir conduiroit dans ces contrees, et pour obeir a mon tres-redoute seigneur monseigneur le duc, qui me l'a ordonne. J'avois rapporte un petit livret ou en route j'ecrivois toutes mes aventures quand j'en avois le temps, et c'est d'apres ce memorial que je l'ai redigee. Si elle n'est pas composee aussi bien que d'autres pourroient le faire, je prie qu'on m'excuse.

* * * * *

The description of a voyage made by certaine ships of Holland into the East Indies, with their aduentures and successe; together with the description of the countries, townes, and inhabitantes of the same: who set forth on the second of Aprill, 1595, and returned on the 14 of August, 1597. Translated out of Dutch into English, by W. P. [Footnote: London, imprinted by iohn wolfe, 1598.]

To the right worshipfull Sir Iames Scudamore, Knight.

Right worshipfull, this small treatie (written in Dutch, shewing a late voyage performed by certain Hollanders to the islandes of Iaua, part of the East Indies) falling into my handes, and in my iudgement deserving no lesse commendation then those of our Countreymen, (as Captaine Raimonde in the Penelope, Maister Foxcroft in the Marchant Royall, and M. Iames Lancaster in the Edward Bonauenture, vnto the said East Indies, by the Cape de Bona Sperance, in Anno 1591, as also M. Iohn Newbery, and Raphael Fich ouer land through Siria from Aleppo vnto Ormus and Goa, and by the said Raphael Fitch himselfe to Bengala, Malocca, Pegu, and other places in Anno 1583. as at large appeareth in a booke written by M. RICHARD HACLUTE a Gentleman very studious therein, and entituled the English voyages, I thought it not vnconuenient to translate the same into our mother tongue, thereby to procure more light and encouragement to such as are desirous to trauell those Countries, for the common wealth and commoditie of this Realme and themselues. And knowing that all men are not like affected, I was so bold to shrowd it vnder your worships protection, as being assured of your good disposition to the fauoring of trauell and trauellers, and whereby it hath pleased God to aduance you to that honourable title, which at this present you beare, and so not fitter for the protection of any then your selfe: and as a poore friend wishing all happines and prosperity in all your valiant actions. Which if it please your worshippe to like and accept, it may procure the proceeding in a more large and ample discourse of an East Indian voyage, lately performed and set forth by one Iohn Hughen of Linschoten, to your further delight. Wherewith crauing your fauor, and beseeching God to blesse your worship, with my good Ladie your wife, I most humbly take my leaue:

This 16. of Ianuarie.

1597.

Your Worships to commaunde.

W. PHILLIP.

To the Bayliefes, Burghemaisters, and Counsell of the town of Middelborgh in Zeelande.

It may well bee thought (Right-worshipfull) as many learned men are of opinion, that the actions and aduentures of the ancients long since done, and performed, haue beene set forth with more show of wonder and strangenesse then they in truth deserued: the reason as I think was, because that in those daies there were many learned and wise men, who in their writings sought by all meanes they could to excell each other, touching the description of Countries and nations: And againe to the contrarie, for want of good Historiographers and writers, many famous actes and trauels of diuers nations and Countries lie hidden, and in a manner buried vnder ground, as wholly forgotten and vnknowne, vnlesse it were such as the Grecians and Romanes for their owne glories and aduantages thought good to declare. But to come to the matter of voyages by sea, it is euident to all the world, what voyage Iason with certaine yong Grecian Princes made to Colchos in the Oriental Countries to winne the golden Fleece, as also the trauels by Hercules performed into Libia in the West partes, to winne the Aurea Mala, or golden apples of Hesperides, which notwithstanding neither for length, daunger, nor profite, are any thing comparable to the nauigations and voyages, that of late within the space of one hundreth years haue been performed and made into the East and West Indies, whereby in a manner there is not one hauen on the sea coast, nor any point of land in the whole world, but hath in time beene sought and founde out. I will not at this present dispute or make an argument, whether the Countries and nations of late yeares found out and discouered, were knowne to the auncients, but this is most certaine, that not any strange worke or aduenture was, or euer shall be performed, but by the speciall grace, fauour and mightie hand of God, and that such are worthy perpetual memory, as with noble minds haue sought to effect, and be the first enterprisers thereof, and with most valiant courages and wisedomes, haue performed such long and dangerous voyages into the East and West Indies, as also such Kinges and Princes, as with their Princely liberalities haue imployed their treasures, shippes, men and munitions to the furtherance and performance of so worthy actes, which notwithstanding in the end turned to their great aduancementes and inriching with great treasures, which by those meanes they haue drawn, and caused in great aboundance to be brought from thence, in such manner, that the King of Spaine nowe liuing, (hauing both the Indies in his possession, and reaping the abundant treasures which yearly are brought out of those countries) hath not only (although couertly) sought all the means he could to bring all Christendome vnder his dominion, but also (that which no King or country whatsoeuer although of greater might then he hath euer done) hee is not ashamed to vse this posie, Nec spe, nec metu. And although the first founders and discouerers of those Countries haue alwayes sought to hinder and intercept other nations from hauing any part of their glorie, yet hereby all nations, and indifferent persons may well know and perceiue the speciall policie, and valour of these vnited Prouinces, in trauelling into both the Indies, in the faces, and to the great grief of their many and mightie enemies. Whereby it is to be hoped, that if they continue in their enterprises begun, they will not onely draw the most part of the Indian treasures into these Countries, but thereby disinherite and spoyle the Countrie of Spayne of her principall reuenues, and treasures of marchandises and traffiques, which she continually vseth and receyueth out of these countries, and out of Spayne are sent into the Indies, and so put the King of Spaine himselfe in minde of his foolish deuise which he vseth for a posie touching the new world, which is, Non sufficit orbis, like a second Alexander magnus, desiring to rule ouer all the world, as it is manifestly knowne. And because this description is fallen into my handes, wherein is contayned the first voyage of the Low-countrymen into the East Indies, with the aduentures happened vnto them, set downe and iustified by such as were present in the voyage, I thought it good to put it in print, with many pictures and cardes, whereby the reader may the easilier perceyue and discerne, the natures, apparels, and fashions of those Countries and people, as also the manner of their shippes, together with the fruitfulnesse and great aboundance of the same, hoping that this my labour will not onely be acceptable vnto all Marchants and Saylers, which hereafter meane to traffique into those Countries, but also pleasant and profitable to all such as are desirous to looke into so newe and strange things, which neuer heretofore were knowne vnto our nation. And againe for that all histories haue their particular commoditie, (specially such as are collected and gathered together) not by common report, from the first, seconde, or thirde man, but by such as haue seene and beene present in the actions, and that are liuing to iustifie and verifie the same: And although eloquence and words well placed in shewing a history, are great ornamentes and beautifyinges to the same, yet such reports and declarations are much more worthy credite, and commendabler for the benefit of the commonwealth, which are not set down or disciphered by subtill eloquence, but showne and performed by simple plaine men, such as by copiousnesse of wordes, or subtiltie do not alter or chaunge the matter from the truth thereof, which at this day is a common and notorious fault in many Historiographers: And thinking with myselfe to whome I were best to dedicate the same, I found it not fitter for any then for the right worshipfull Gouernours of this famous Towne of Middelborgh, wherein for the space of 19 yeares I haue peaceably continued, specially because your worships do not onely deale with great store of shipping, and matter belonging to nauigation, but are also well pleased to heare, and great furtherers to aduance both shipping and traffiques, wherein consisteth not onely the welfare of all marchants, inhabitants, and cittizens of this famous City, but also of all the commonwealth of the vnited Prouinces, hoping your worships wil not onely accept this my labour, but protect and warrantise the same against all men: Wherewith I beseech God to blesse you with wisedome, and godly policie, to gouerne the Commonwealth: Middleborgh this 19 of October 1597.

Your worships seruant to command

BERNARDT LANGHENEZ.

A briefe description of a voyage performed by certaine Hollanders, to and from the East Indies, with their aduentures and successe.

The ancient Historiographers and describers of the world haue much commended, and at large with great prayse set downe the diuers and seuerall voyages of many noble and valiant Captains (as of Alexander Magnus, Seleucus, Antiochus, Patrocles, Onesecritus) into the East Indies, which notwithstanding haue not set downe a great part of those coontries [sic—KTH], as not being as then discouered, whereby it is thought and iudged by some men, that India is the full third part of all the world, because of the great Prouinces, mighty citties and famous Islands (full of costly marchandises, and treasures from thence brought into all partes of the worlde) that are therein: Wherein the auncient writers were very curious, and yet not so much as men in our age: They had some knowledge thereof, but altogether vncertaine, but we at this day are fully certified therein, both touching the countreys, townes, streames and hauens, with the trafiques therein vsed and frequented, whereby all the world, so farre distant and seperated from those strange nations, are by trade of marchandises vnited therevnto, and therby commonly knowne vnto them: The Portingalles first began to enterprise the voyage, who by art of nauigation (in our time much more experienced and greater then in times past, and therefore easilier performed) discouered those wild Countries of India, therein procuring great honour to their King, making his name famous and bringing a speciall and great profite of all kindes of spices into their Countrie, which thereby is spread throughout all the worlde, yet that sufficed not, for that the Englishmen (not inferiour to any nation in the world for arte of nauigation) haue likewise vndertaken the Indian voyage, and by their said voyages into those Countries, made the same commonly knowne vnto their Country, wherein Sir Frances Drake, and M. Candish are chiefly to bee commended, who not onely sayled into the East Indies, but also rounde about the world, with most prosperous voyages, by which their voyages, ours haue beene furthered and set forwarde, for that the condition of the Indies is, that the more it is sayled into, the more it is discovered, by such as sayle the same, so strange a Countrey it is: So that besides the famous voyages of the Countries aforesaid, in the ende certain people came into Holland (a nation wel known) certifying them, that they might easily prepare certaine shippes to sayle into the East Indies, there to traffique and buy spyces etc. By sayling straight from Hollande, and also from other countries bordering about it, with desire to see strange and rich wares of other Countries, and that should not be brought vnto them by strangers, but by their owne countrey men, which some men would esteeme to be impossible, considering the long voyage and the daungers thereof, together with the vnaccustomed saylinges and little knowledge thereof by such as neuer sayled that way, and rather esteeme it madnesse, then any point of wisedome, and folly rather then good consideration. But notwithstanding wee haue seene foure ships make that voyage, who after many dangers hauing performed their voyage, returned againe and haue brought with them those wares, that would neuer haue beene thought coulde haue beene brought into these countries by any Holland ships; but what shoulde I herein most commende eyther the willingnesse and good performance of the parties, or the happinesse of their voyage? whereof that I may giue the reader some knowledge, I will shew what I haue hearde and beene informed of, concerning the description of the Countries, customes, and manners of the nations, by them in this voyage seene and discouered, which is as followeth.

In the yeere of our Lord 1595. vpon the 10. day of the month of March, there departed from Amsterdam three ships and a Pinnace to sayle into the East Indies, set forth by diuers rich Marchantes: The first called Mauritius, of the burthen of 400. tunnes, hauing in her sixe demie canon, fourteene Culuerins, and other peeces, and 4. peeces to shoot stones, and 84. men: the Mayster Iohn Moleuate, the Factor Cornelius Houtman: The second named Hollandia, of the burthen of 400. tunnes, having 85. men, seuen brasse peeces, twelue peeces for stones, and 13. iron peeces, the Mayster Iohn Dignums, the Factor Gerrit van Buiningen, the thirde called Amsterdam, of the burthen of 200. tuns, wherein were 59. men, sixe brasse peeces, ten iron peeces, and sixe peeces for stones, the Mayster Iohn Iacobson Schellinger, the Factor Reginer van Hel: The fourth being a Pinnace called the Doue, of the burthen of 50. tunnes, with twenty men, the Mayster Simon Lambertson: [Sidenote: When and how the ships set saile.] Which 4. ships vpon the 21. of the same moneth came vnto the Tassel, where they stayed for the space of 12. daies to take in their lading, and the seconde of Aprill following, they set saile with a North east winde and following on their course the fourth of the same moneth they ['the' in source text—KTH] passed the heades; The sixt they saw Heyssant, the 10. of April they passed by the Barles of Lisbon: With an East and North East wind, the 17. of Aprill they discouered two of the Islands of Canaries: The 19. Palm, and Pic, Los Romeros, and Fero: The 25. of Aprill they saw Bona visita, the 16. they ankered vnder Isole de May: The 27. they set sayle againe and held their course South Southeast. The 4. of May, we espied two of the King of Spaines ships, that came from Lisbone, and went for the East Indies, about 1000. or 1200. tunnes each ship, with whom we spake, and told them that we were bound for the straights of Magellanes, but being better of sayle then they wee got presently out of their sight. The 12. of May being vnder fiue degrees on this side the Equinoctiall line, we espyed fiue ships laden with Sugar, comming from the Island of S. Thomas, and sayled for Lisbone, to whome we gaue certaine letters, which were safely deliuered in Holland. [Sidenote: Their victuailes stunke and spoyled.] Departing from them and keeping on our course, vpon the fourth of Iune we passed the Equinoctial line, where the extreame heat of the ayre spoyled all our victuailes: Our flesh and fishe stunke, our Bisket molded, our Beere sowred, our water stunke, and our Butter became as thinne as Oyle, whereby diuers of our men fell sicke, and many of them dyed; but after that we learned what meat and drinke we should carrie with vs that would keepe good. [Sidenote: They passed the sandes of Brasilia.] The 28 of Iune we passed the sandes of Brasill, by the Portingalles called Abrolhos, which are certaine places which men must looke warely vnto, otherwise they are very dangerous.

These sandes lie vnder 18. degrees, and you must passe betweene the coast of Guine and the sandes aforesaid, not going too neer eyther of them, otherwise close by the Coast there are great calmes, thunders, raines and lightnings, with great stormes, harde by the sands men are in daunger to be cast away: and so sayling on their course, first East South East, then East and East and by North. Vpon the seconde of Iuly wee passed Tropicus Cancri, vnder 23. degrees, and 1/2. The 13. of the same Month, we espied many blacke birdes. [Sidenote: Tokens of the Cape de bona Sperance.] The 19. great numbers of white birdes, and the 20. a bird as bigge as a Swan, whereof foure or fiue together is a good signe of being neere the Cape de bona Sperance. These birdes are alwaies about the said Cape, and are good signes of being before it.

The second of August we saw the land of the Cape de bona Sperance, and the fourth of the same Month we entered into a hauen called Agne Sambras, where wee ankered, and found good depth at 8. or 9. fadome water, sandy ground.

The 5. day we went on shore to gather fruite, therewith to refresh our sicke men, that were thirty to 33 in one shippe. In this bay lyeth a smal Islande, wherern are many birdes called Pyncuius and sea Wolues that are taken with mens handes: we went into the countrey and spake with the inhabitants, who brought diuers fresh victuailes aborde our shippes, for a knife or small peece of Iron, etc. giuing vs an Oxe, or a sheepe etc. The sheepe in those Countries haue great tayles, and are fat and delicate. Their ozen [sic—KTH] are indifferent good, hauing lumps of flesh vpon their backes, and are as fat as any of our good brisket beefe: the inhabitantes are of small stature, well ioynted and boned, they goe naked, couering their members with Foxes and other beastes tayles: they seeme cruell, yet with vs they vsed all kind of friendship, but are very beastly and stinking, in such sort, that you may smell them in the wind at the least of a fadome from you: They are apparelled with beastes skinnes made fast about their neckes: some of them, being of the better sort, had their mantles cut and raysed checkerwise, which is a great ornament with them: They eate raw flesh, as it is new killed, and the entrailes of beastes without washing or making cleane, gnawing it like dogs, vnder their feet they tye peeces of beastes skinnes, in steed of shooes, that they trauel in the hard wayes: We could not see their habitations, for wee saw no houses they had, neither could wee vnderstande them, for they speake very strangely, much like the children in our Countrey with their pipes, and clocking like Turkey Cockes: At the first wee saw about thirtie of them, with weapons like pikes, with broade heades of Iron, about their armes they ware ringes of Elpen bones: There wee coulde finde neyther Oringes nor Lemons, which we purposely sought for.

[Sidenote: With what wind they sailed to S. Laurence.] The 11. of August we hoysed anker, sayling towards the Island of S. Laurence, and the 22. of the same month we had a contrary wind that blew North East: the 25. a West winde, and so held our course East North East: The 28. there blew a South East wind, and the 30. a South West winde, and our course lay North North East to sayle to the Isle of S. Laurence. The first of September wee discouered the point of the Islande of S. Laurence, vnder 16 degrees, and the third day we saw the Island being very desirous to go on land, for that many of our men were sicke, whereby wee coulde hardly rule our shippes, or bring them farther without healing or refreshing of our men. [Sidenote: They had great store of fish for 2 or 3 kniues.] The 9. of September Iohn Schellinger sent out his boate to rowe to lande, where they founde three Fishermen, of whome for two or three kniues they had great store of fishes. The 13. we entered into a small Bay, but because wee founde no good anker ground, as also being very foule we sayled out againe. The 14. we sayled vnder a small Island about a mile or 2. great, by the Hollanders called their Church yarde, or the dead Island, because many saylers dying in that place, were buried in the African earth, and the 29. of the same Month died Iohn Dignumsz Mayster of the Lyon of Holland, and was buried the next day after.

There Iohn Peters of Delft Sayler of the Hollandia, and Koelken van Maidenblick of the Amsterdam were set on shore vpon the Island of S. Laurence, where they were left because they had committed certaine notorious crimes.

Meane time the Pinnace was sent out to looke for fresh water, which hauing found, the boat returned to bring vs newes, and therewith the fleete sayled thither, and the 10. of October the shippes ankered before the Riuer, and went on shore, where we found good prouision of all necessaries, the inhabitants being very willing thereunto, bringing vs of al things that we needed, where for a Pewter Spoone wee had an Oxe, or three sheepe. [Sidenote: How the wilde men assailed them, and forced them to insconce themselues.] The 11. of October we went on shore with a boat full of sicke men and the next day we were assayled by a company of wild men, against whom our weapons little preuayled, for they hurt one of our men and tooke all that we had from vs, whereby vpon the thirteenth of the same Month, wee were forced to insconse our selues with pieces of wood and braunches of trees, making Cabins within our Sconse, for that the 15. of October they came againe, but then we tooke one, and slew another of them. The 19. of Nouember our Pilot Claes Ianson was intrapped and murthered by the wild people, although we vsed all the means we could to helpe him, but they feared no weapons, about ten or twelue dayes after we tooke one of them that paide for his death. [Sidenote: The maner and custome of the wild people.] The first of December our men hauing for the most part recouered their healthes, were all carryed aborde the ships: in that parte of Madagascar the people are of good condition, and goe naked, onely with a Cotton cloth before their priuie members, and some from their breasts downward: Their ornaments are Copper ringes about their armes, but Tin rings are more esteemed with them, and therefore tinne with them is good marchaundise. Their Oxen haue great lumpes of fat vpon their backes: Their sheepes tayles way at the least twelue pound, being of an elle long, and two and twentie inches thick. They gaue vs six of those sheepe for a tinne Spoone: They dwel in cottages and liue very poorely: they feare the noyse of a peece, for with one Caliuer you shall make an hundred of them runne away: Wee coulde not perceyue any religion they had, but after wee were informed that they helde the law of Mahomet, for the two boyes that wee tooke from of the land, shewed vs their circumcision: There we found no fruit of Tambaxiumes, but great numbers of Parrats, Medicats, and Turtle Doues, whereof we killed and eat many. The second of December we burned our sconse, and fourteene of our men going further into the Islande brought certaine of the countreymen prisoners, and being abord our ships taught them what they shoulde doe. The thirteenth of December wee hoysed anker, minding to holde on our course for the Islands of Iaua, and for that by reason of the pleasantnesse of the ayre we had in a manner all recouered our healthes, we set our course East and by North, and East Northeast. The nineteenth of the same Month wee were separated by foule weather, and the 22. with great ioy we met againe. The tenth of Ianuarie Vechter Willemson dyed, being a verie honest man, and Pilot in Molenaers shippe, for whome we were much grieued, and the same day we determined to put backe againe for the Islande of S. Laurence, for as then wee began againe to haue a great scouring among our men, and many of them fell sicke: [Sidenote: The wilde men brought things aborde to comfort them.] But presently therevpon we espied the Islande of Saint Mary, and the next day being arriued there, some of the inhabitants came abord our shippes with a basket of Ryce, Sugar canes, Citrons, Lemons, and Hens, whereof we were very glad, as being phisicke for vs.

The 13. 14. 15. 16. and 17. dayes we were on land, where we bought Ryce, Hens, Sugar-canes, Citrons and Lemons in great aboundance, and other kinde of fruites to vs vnknowne, also good fish, and greene Ginger: There we tooke a Fish, which thirteen men could hardly pull into our shippe, and because the Island was little, and we had many men, wee entred into the Bay of the firme land with our Pinnace, where for a string of Beades of small value we had a tunne of Ryce: [Sidenote: The description of one of their kings.] The King came abord our Pinnace to see it, and was as blacke as a Deuill, with two hornes made fast vpon his heade, and all his body naked like the rest of the countrey people.

This Island lyeth about a small mile from Madagascar, about 19 degrees Southward from the Equinoctiall line (Madagascar or S. Laurence is an Islande belonging to the Countrey of Africa, and lyeth Southwarde vnder 26 degrees, ending Northwarde vnder 11 degrees by the inhabitants it is called Madagascar, and by the Portingalles the Islande of S. Laurence, because it was discouered on S. Laurence day: The riches of this Island is great, it aboundeth in Ryce, Honnie, Waxe, Cotton, Lemons, Cloues, etc. The inhabitants are blacke and go naked, but the haire vpon their heades is not so much curled as those of the Mosambique, and they are not ful so blacke.)

The 23. of Ianuary we ankered before a Riuer where likewise we had all kind of necessaries, and after that we went to lie vnder a small Islande within the same Bay.

[Sidenote: The wilde people came on borde their ships and seemed very friendly.] The 25. Ianuarie there came some of the wild people aborde our ships, making signes to haue vs go on land, which we did, and there we had good Ryce and other fruits in great abundance. On the left side of the entry of the Riuer lyeth one of their Townes, and on the right hand two townes, where we had most of our trafique.

The 26. of Ianuarie wee had interpreters, whom we made to drink wine, wherewith they were as drunk as beastes.

The manner and condition of the people inhabiting in the great Bay of Antogil, on this side the Equinoctiall line vnder 16 degrees, on the South side of the Island Madagascar.

It is a very great Bay, about ten mile broade, behind it lyeth a high Island, and three small Islands: there is good harbour against all windes. The Island is inhabited, and therein groweth all kindes of fruites, it hath a great fall of water that commeth down out of the hilles, where we laded all our water, and halfe a mile from thence within the land, there runneth a great Riuer, wherein likewise there is much water to be had, when you enter into the Riuer about a quarter of a mile inward on the left hand, ther is a smal towne or village, not closed nor fortified, in it there is about 200. houses, and on the right hand where the Riuer diuideth it selfe, there is two other such Townes: They were all compassed with palles, and the houses were placed about two foote aboue the ground, vpon foure or fiue palles or stakes of wood, and all the vpper partes of reede and strawe. [Sidenote: Why their houses stand so high aboue the earth.] The cause why their houses are made so high from the ground is to auoide the danger of venemous beastes that are there in great aboundance, as Serpents, Snakes, Camelions, and other kindes of beastes. The people are very blacke, but their hayre and beardes are not so much curled as the right Mores, nor their noses nor lippes so great nor flat. They are subtill and strong people, much addicted to drinking, for they will bee as drunke as Swine, with a kind of drinke made of Honie and Ryce. [Sidenote: The maner of the wilde men in that countrey.] They go naked, onely that about their midles they weare a cloth made of the barke of a tree, drawne in small threedes: they make and use very fine Mats to sitte vppon: They haue no great store of weapons, for that halfe of them are vnprouided, and that they vse is a speare of nine ten foote long with a great wooden Target: They are very fearefull of our Caliuers, for 5. or sixe men with Caliuers will cause great numbers of them to flie away: We taught them what our peeces ment for wee perceyued that they knew them not, before they had proued them: at the first they thought they coulde carry no further then their owne lengthes, for they knew not what they were: Their Kinges ornamentes were ten or twelue Copper Rings about his armes: if we had had such Ringes with vs, wee might haue sold them at what prices wee woulde. They likewise vse beades of Glasse, which they weare about their armes and neckes, by them esteemed for great ornaments: for a boxe of beades of small value, we had an Oxe, or three or foure Sheepe; rounde about this Bay are townes and villages, where you may haue of all things to refresh your selues, Lemons and Citrons are there greater and better then in Portingall: Likewise Oringes, Ryce, Hennes, Goats, Honie, and many other sortes of fruites, and to conclude it is the best Bay in all the world to refresh ships. Being on land we were wel entertayned, and must of force drink with them of their drinke made of Hony and Ryce: There we trafiqued with them, and had sufficient of euery thing, but euery night we went aborde our shippes.

The third of February we had so great a storme, that most of our ankers were lost, and we ran vpon the land in great daunger to cast our ships away, but God holpe vs, for the storme ceased, and then we went to hoyse vp our lost ankers, and so againe went to anker vnder the Island, glad that we had so well escaped that daunger. The fift of February we went to seeke for our boats, but the wild men had smitten them in peeces, and taken out the nailes, thinking likewise that our shippes woulde haue beene cast away vpon the shore, which they still expected: and when we came thither, they stood vpon the shore with their weapons in hand and threw stones at vs, and we perceyuing them in that minde, made towardes our shippes, for we desired not to reuenge our selues, nor once to fight with them without commission from our Generall, whom we certified thereof. The eyght of February we rowed into the Riuer to buy cattle, and other things, but they were become our enemies, threatning and casting stones at vs, wherevpbn we put out two shalops to run a shore close to the land, and made our Caliuers and other weapons ready.

Wherewith we shut at them, but they feared not our shot, for they knew not what they ment, they thought likewise that the peeces coulde carrie no further then they were long: but when they sawe eight or nine of their fellowes dead, they fled into the woodes, and wee entering vpon the lande set fire on their houses, whereof we burnt about twentie or thirtie. The 9. of Februarie we sailed on the other side to buy cattle, and other necessaries, but they seemed vnwilling to deale with vs, but we threatning to burne their houses, they brought vs Cattle and fruites inough, with all things else to our desires.

The 12. of Februarie wee hoised anker, and set sayle out of the great Bay of Antongill, being well prouided of all necessaries, we put out with a North wind, the Bay stretching Northeast and Southwest: The 2. of March we had a West winde, our course being East and East and by North towards Iaua. In March and Aprill about the Islande of Brandawe, we found that our Compasses helde two Strikes to farre Northwarde, and we coulde not perceiue the sands that are set downe in the Portingalles sea Cards, but we saw many turnings of streames, and we were much troubled, with calmes, but with the new Moone we had winde enough out of the West and North West. The 27. of May we found the water abord our shippes to bee much lessened, and therefore euery mans portion was but halfe as much as he was wont to haue; so that each man was allowed but foure draughts euery day, which was but a small quantitie. Whereby through the extreame heat we endured great thirst, so that at that time a draught of water abord our ship was worth a Riall of 8. The first of Iuly we saw the Islande of Emgano, whereat we much reioyced, because of the great thirst wee endured in our shippe, and when wee made neerer to it, we perceyued it to be an Islande lying before the straightes of Sonda, vnder 9. degrees on the South side of the line.

The sixt of Iuly we put somewhat nearer to the land, and there we saw sixe or seuen canoes, lying vnder the shore but farre off, and durst not make toward vs: in the end we manned out a shalop and rowed to land, but they made from vs, and when our men were hard by the shore, there we saw about 40. or 50. of them standing vpon the shore with their bowes; wherewith our men durst not land, for they seemed to be a cruell kind of people, and altogether wild, for they went all naked, not hauing any thing before their priuy members. They were of a reddish colour, but when our men saw no aduantage they turned again vnto their shippes.

The seuenth of Iuly we saw the point of the land of Sumatra, which is a verie high land descending downewarde with a long end.

The 11. of the same Month we were close vnder the land, where there lay an Island, and there we ankered.

The 12. of Iuly in the morning we saw certaine ships, whereof one came vnto vs, wee rowed vnto it with a shalop, and spake with it, but we could not vnderstand them, but they shewed vs where we should haue water, which made vs glad, that wee might once againe haue our bellies full of water: it being almost foure Monthes that wee had not seene any land, nor taken in any fresh victuailes. We sent our Pinace to the firme land of Sumatra, there to seeke for some reliefe: for that where we lay there dwelt not any man. [Sidenote: The maner of the Gouernor of Soumatras comming on bord.] The 13. of July the Captain or principall ruler of Sumatra came abord our ships to see them, which was done with great solemnitie, hee being apparelled after the Turkish manner, with a wreath about his heade, and a fearefull countenance, small eyes, great eye browes, and little beard, for a man might tell all the haires vpon his chinne: he brought vs a present of Betele, which are leaues which they continually chaw, and eat it with chalke.

This Island of Sumatra or Taprobana (as it is saide) is the greatest of all the Orientall Islandes, it is diuided from the firme land of Malacca by a straight and dangerous sea, by reason of many Islandes and cliffes that are within it: Out of this Island as some men are of opinion, Salomon had his Gold wherewith he beautified the Temple, and his owne pallace, and then in the Bible it should be named Orphir, for certainly Sumatra is rich of mynes of Golde, Siluer, and Mettall, and the inhabitants thereof are very expert in melting of brasse peeces: Therein is a fountaine of pure Balsame, the Portingalles haue no fortresse therein, yet they traffique in certaine hauens, specially in Pedir and Campar: There is also in this Island a place called Manancabo, where they make poinyardes and daggers, by them calde cryses, which are much esteemed in those Countries, and those of Malacca and Iaua, hold them for their best weapons, and with them are very bold.

The same day our Pinnace returned againe vnto vs, bringing vs good news, that wee were welcome vnto the Countrey people, and brought vs certaine Indian Nuttes or Cocus, Melons, Cocombers, Onions, Garlicke, and a sample of Peper and other spices, which liked vs well.

The fourteenth of June we laded in some fresh water.

Right ouer against Sumatra, on the South side of the Equinoctiall lyeth the Islande of Iaua Maior, or great Iaua, and these two Islandes are deuided by a straight commonly called the straight of Sunda, which lyeth between these two Islands, bearing the name of the principall hauen of Iaua called Sunda: In this channel there runneth a great streame, and course of narrow waters, through this straight M. Condlish an Englishman passed with his ship, comming out of the South sea from new Spaine. Iaua beginneth vnder seuen degrees on the South side, and so stretcheth East and South 150. miles long, it is very fruitfull, specially of Ryce, Catle Hogges, Sheepe, Hennes, Onions, Garlike, Indian Nuttes, and all kinde of Spices, as Cloues, Nutmegges, Mace, etc. Which they carrie to Malacca. The chiefe hauen in the Islande is Sunda Calapa, there you have much Pepper, better then that of India, or of Malabar, and there you may yearely lade 4. or 5000. Quintales of Pepper Portingall waight, there likewise you haue great store of frankencense, Camphora, and some Diamants: but they haue no other kinde of money but a certaine peece called Caixa, as bigge as a Hollands Doibt, but not so thicke, with a hole in the middle to hang it vpon a string, in which manner they commonly hange hundrethes or thousandes together, and with them they know how to make their accountes, which is two hundred Caixas make a Sata, and fiue Satas make a thousand Caixas, which is as much as one Crusado of Portingall, or three Carolus Gilderns, Flemish money: Pepper is solde by the sacke, each sacke waying 45. Catten waight of China, each Catte as much as 20. ounces Portingall waight, and each sacke is worth in that Country at the least 5000. Caixas, and when it is highest at 6. or 7000. Caixas: Mace, Cloues, Nutmegs, white and blacke Beniamin, Camphora, are sold by the Bhar, each barre waying 350. Catten of China: Mace that is faire and good is commonly worth from 100. to 120. thousande Caixas: Good Cloues accordingly, and foure Cloues called Bastan are worth 70. and 80. thousand Caixas the Bhar: Nutmegs are alwaies worth 20. and 25 thousand Caixas the Bhar: White and blacke Beniamin is worth 150. and 180. thousand Caixas, and sometimes 200. thousand. The wares that are there desired and exchanged for spices, are diuers sortes and colours of Cotton Linnen, which come out of seuerall Prouinces; and if our Cambricke or fine Hollande were carryed thither, it would peraduenture bee more esteemed then the Cotton linnen of India.

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